En France et en Suisse, vous entendez ceci : "le magasin va bientôt fermer, veuillez vous rendre en caisse".
N'en faites rien.Car seuls les billets de banque et les pièces de monnaie sont susceptibles d'aller "en caisse" ; ils y sont d'ailleurs encaissés. Mais les humains, eux, se rendent à la caisse. De même qu'ils vont au comptoir, au bar, au rayon boucherie, aux toilettes, au jardin, au garage, au bar, au vestiaire ou à l'infirmerie
Avec beaucoup de mauvaise foi ou de manque de clairvoyance, un webmestre s'exprimant au nom d'une haute institution académique française a pris l'initiative personnelle de répondre qu'il n'y avait rien à redire à l'injonction de "passer en caisse", invoquant l'expression "se marier en l'église Saint-Louis".
Or, il s'agit là d'un rapprochement doublement spécieux, car :
• primo : il se réfère au parler médiéval ecclésiastique ;
• secundo : il désigne un lieu fort vaste en lequel (c'est-à-dire dans lequel) des humains peuvent effectivement se rendre, puis se tenir.
Au supermarché, des clients peuvent-ils se tenir dans la caisse, comme des mariés peuvent se tenir dans l'église Saint-Louis ? Certes non.
Et la responsable du supermarché nous parle-t-elle comme au Moyen Âge ou comme au presbytère ? Pas davantage. Elle nous parle comme une personne bombardée de fautes de syntaxe dans les médias et les réunions de travail, qui se plie aux tournures les plus erronées plutôt qu'aux seules exactes, car ainsi fait son chef et le chef de son chef et ainsi de suite vers le haut. Ces bourdes jargonnantes, on les lui enseigne même en école de commerce et en stages de formation continue.
La préposition "en" signifie "dans". Aller en Espagne, c'est aller à l'intérieur de ce pays. Aller "en" caisse, cela signifie aller en elle, donc aller dans la caisse, comme seuls le peuvent les menus objets de nos paiements.
Dire par pédanterie ou préciosité "en mairie" au lieu de à la mairie, ou dire par ignorance et suivisme "en caisse" au lieu de à la caisse, ce n'est pas un drame national. Ce n'est que surdité au sens des mots ; même des plus petits mots, ceux qui sont aussi les plus faciles à comprendre en principe : sous, sur, dans, en, avec, etc. Toutes ces pédanteries erronées se répètent ensuite dans des courriers administratifs et des annonces de supermarché qu'aucune oreille attentive à sa propre langue ne vient rectifier. N'hésitez pas à le faire !
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Commentaires
Les organisations modernes sont beaucoup plus complexes que celles du XIXe ou du XXe siècle. "En mairie" ou "en préfecture" n'a donc souvent plus le même sens que "à la mairie" ou "à la préfecture". On y évoque souvent moins le bâtiment que l'ensemble des services, municipaux ou préfectoraux, au sein desquels un sujet est traité. « La demande de permis de construire est instruite en mairie » se justifie donc pleinement, ladite demande se promenant sans doute entre de nombreux lieux géographiquement distincts. La "mairie" est une entité administrative, non un lieu déterminé.
Plus qu'une condamnation générale de la tournure, il serait donc plus judicieux de plaider pour une bonne distinction sémantique, l'usage de "en" restant clairement minoritaire et lié au contexte.
1/ Quand bien même l'Académie française les rejette sans tergiverser (voir son site "dire, ne pas dire"), admettons que "en mairie" et "en préfecture" soient corrects. Admettons que "en La Chapelle royale" ne soit pas désuet. Vous conviendrez que tout ça signifie être DANS la mairie ou DANS la préfecture ou DANS La Chapelle, n'est-ce pas. ? Or ce qui est grotesque dans "le magasin va fermer, veuillez venir EN caisse", c'est que personne ne va DANS la caisse ! La caisse n'est pas un local où l'on se rend, c'est un objet de petite taille devant lequel on se présente.
2/Subsidiairement, chacun dit bien "au rayon boucherie", "au bar", "au comptoir". Pourquoi, diable, créer une exception à propos de ce "rayon" particulier, de ce "comptoir" spécial qui s'appelle la caisse ? C'est complètement c... [gros mot d'affliction].
La tournure est donc à condamner en bloc et en détail.
Pour bien défendre l'autoroute d'une cause, on doit parfois accepter de respecter quelques nuances sur le bas-côté. Mais je reconnais que cela ne simplifie pas le combat…
Avec tous mes respects et mes encouragements pour votre inlassable lutte contre le sabir des moulins à vent médiatico-politiques.