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futur et expertise : hier et aujourd'hui

Tout en s'alarmant de la désaffection pour l'avenir au profit de le futur, une camarade en francophonie prénommée Régine nous a écrit ceci : "C'est à tort que le futur au sens de l'avenir est parfois tenu pour un anglicisme. Cet emploi est attesté de longue date dans notre langue, et jusque sous des plumes avisées : « Le futur n'y aura jamais présence » (Ronsard, Roman de la Rose, vers 1280),"

Mais non, Régine, détrompez-vous ! En 1280 la télévision n'était pas inventée et les USA n'existaient pas. De sorte que le public francophone n'était pas bombardé de feuilletons américains mal traduits, dans lesquels l'avenir anglophone (the future) ne devient JAMAIS l'avenir francophone mais toujours "le futur".

Or, cette bévue propre au mauvais maniement des faux amis par des traducteurs défaillants n'est pas décodée par les téléspectateurs ni leurs décodeurs...  Chacun croit y entendre le mot juste, et chacun en oublie l'existence du mot avenir. Si ce n'était pas de l'anglomanie en 1280 que d'évoquer le futur au lieu de l'avenir, c'en est indéniablement aujourd'hui

Car en 1280, le mot avenir était par ailleurs florissant et s'est avéré impérissable pendant 700 ans de plus. Tandis qu'aujourd'hui, il agonise sous le futur, dont l'emploi devient systématique.

Nous avons mené à ce propos une mesure philologique probante en 2008 (au sein du CELSA, en France), dont voici le résultat :

• à la question "quel est le contraire du passé",
• 94 personnes répondent "le futur";
• 4 personnes répondent "l'avenir";
• 2 personnes répondent "le présent".

Contrairement à la situation de 1280 ou même de 1980, l'avenir a donc bien été supplanté à partir de 1990 par the future et sa francisation défectueuse "le futur", et non par le futur poétique de Ronsard.

Nous en trouvons aussi la preuve dans l'envahissement de nos conversations par l'anglicisme "dans le futur" (in the future) au lieu de la juste expression française "à l'avenir".

Bref, il s'agit bien d'une dérive d'origine anglophone, Régine, et non de français classique remis au goût du jour.

Idem pour l'expertise, qui désignait encore dans notre langue du milieu du vingtième siècle une intervention d'expert ou un rapport d'expert, et rien d'autre ("l'assureur va demander une expertise"). Toutefois, le français avait autrefois employé expertise au sens de "qualité d'expert", comme la maîtrise est la qualité de maître et la prêtrise la qualité de prêtre. C'est ce sens-là que le mot expertise nous a été emprunté puis conservé vivace par l'anglais à travers les siècles.

Mais aujourd'hui, ceux qui vantent en affaires "leur expertise" au lieu de "leur compétence" ne le font pas pour avoir trop lu les auteurs d'avant 1700 ! Ils le font sous l'influence des mauvaises traductions jargonnantes du terme anglais expertise, lequel signifie en réalité "compétence", "grande compétence", "compétence d'expert" voire "excellence" (professionnelle). Nous assistons certes à un retour au passé, mais suscité par l'anglais. Si on ne souhaite céder ni à ce passéisme ni à ce parasitage, et si on veut toutefois se présenter comme expert en son domaine, le mieux est de le dire avec simplicité et de reformuler le sens équivoque d'expertise au profit du mot expert. Ce qui donnera : "nous sommes experts en traduction de films", et non l'anglicisme "nous avons une expertise de la traduction de films".

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