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comme un arbre dans la ville


Ce billet de philologie environnementale et d'urbanisme emprunte son titre à l'œuvre de l'auteur-compositeur français Maxime Le Forestier.

Il se réfère ici aux débats idéologiques, donc terminologiques, qui font actuellement rage dans la capitale mondiale de la langue française. Entre écologistes parisiens... et écologistes parisiens !

Les premiers (codétenteurs du pouvoir municipal) se proposent d'abattre ça et là de beaux arbres pour faire toute la place à ce qui incarne à leur yeux le summum de la protection de la nature : la prolifération du vélo et des trottinettes à batterie de plomb, de nickel ou de lithium.

Les seconds (détenteurs du statut d'administrés des précédents) ne sont pas du tout ennemis de cette lancinante confiscation de Paris au bénéfice d'une infime minorité patinettiste et cycliste (env. 5% d'usagers assidus), au contraire. Mais ils refusent que cette régression s'opère au prix d'atteintes à ce qu'ils appellent "le vivant".

À ce titre, ils protestent bien naturellement - c'est le cas de le dire - contre des abattages forcenés d'arbres adultes, dont la justification dendrologique souvent invoquée par les auteurs de ces coupes pas très franches laisse dubitatif ("ce platane n'était pas sain").  Ils s'élèvent aussi avec force et efficacité contre des projets coupablement mégalomanes de "transformation de Paris" au prix du sacrifice d'arbres en pleine santé. Et parfois chenus (1).

Les écologistes parisiens détenteurs du pouvoir municipal - immodérément désireux de remodeler une ville admirée, qu'au fond ils abominent telle qu'elle est - se heurtent ici à la détermination d'autres écologistes parisiens légitimement indignés par cette prétention lorsque les altérations décidées se traduisent par des pertes du patrimoine arboré.

Dans la frénésie d'altérations municipales de Paris, le patrimoine culturel (y compris celui du 21 e siècle à léguer aux siècles suivants) peut souffrir, se dénaturer, se faire maltraiter par sa maire sous divers prétextes "climatiques", ce n'est pas grave à leurs yeux : ce n'est que "du minéral".

Mais il ne faut pas toucher à ce que les ardents défenseurs de la nature en ville avant tout appellent "le vivant".

Écoutons l'un des plus écoutés d'entre eux, Tangui Le Dantec.

"Tous les prétextes sont bons pour détruire le vivant, la variable d'ajustement universelle. Le vivant est ce qu'il y a de plus faible aujourd'hui, ce qui est tout en bas du plus bas de la pyramide de domination des pouvoirs : il n'y a personne pour aller vraiment plaider sa cause" - écrit ainsi Tangui Le Dantec, militant écologiste actif contre les écologistes suractifs dans l'abattage d'arbres sains.

En lexicographes soucieux de la clarté des mots, et en amoureux des belles villes dans toute leur urbanité minérale, sociale, végétale ou animale, nous avons aimablement tempéré cette déclaration :

"La place du "vivant" (autre qu'humain) n'est pas nécessairement au centre des villes. Car les villes sont des lieux de civilisation humaine en toute priorité, et de retrait choisi de la nature sauvage. Ce choix n'a rien à voir avec "la domination et les pouvoirs"."

À quoi notre militant écologiste en conflit ouvert avec le pouvoir d'autres écologistes a répondu : "Chaque arbre en ville est essentiel à la survie de milliers de ses habitants."

Il s'est donc avéré que le syntagme "détruire le vivant" dans Paris, ne se référait pas dans son propos à la destruction de la vie dans toute sa diversité - depuis les chevaux de la Garde républicaine et les tanches de la Seine jusqu'au chiendent des bas-côtés - mais plus exclusivement la destruction des arbres. Ces arbres des villes, précieux et chérissables en effet, dont toutefois l'expression "le vivant" n'est nullement un synonyme, car trop vaste.

Ce quiproquo ayant été levé, nous aimerions convaincre les locuteurs parisiens et tous les autres citadins et urbanistes du monde, qu'ils soient au pouvoir ou au contre-pouvoir, de se recentrer sur la réalité terminologique et ontologique des villes en ce qui concerne le vivant.


A• Le seul "vivant" qui soit primordial aux villes, c'est l'être humain.

Toute ville, depuis la plus haute antiquité, est à la fois la création et le refuge écologique de l'Homo sapiens contre la nature jugée trop imprévisible voire hostile.

Le seul "vivant" primordial aux villes depuis toujours est l'être humain. Tout comme l'arbre est le seul "vivant" primordial aux forêts, en dépit du foisonnement d'autres formes de vie sous ses racines et dans ses frondaisons.

Un enfant peut le comprendre. C'est pourquoi on ne peut s'attrister d'entendre des gens intelligents s'égarer à contester ces tautologies, en toute bonne foi, jusqu'à diaboliser la civilisation citadine assumée dans tout son dynamisme créatif. Au lieu d'y voir avec lucidité ce que la nature a produit de plus élaboré dans le sytème solaire : l'humanité et ses œuvres artificielles.

Mais il est vrai que tous les être humains ne sont pas montagnards dans l'âme, ni paysans dans l'âme, ni navigateurs dans l'âme ; et que tous ne sont pas non plus citadins dans l'âme.

Ceux qui ne sont pas des citadins dans l'âme placent par exemple le végétal plus haut que le minéral (pierre, verre, terre cuite, bitume, métaux, etc ; soit tout ce dont l'architecture est composée, et par conséquent l'essence même des ensembles architecturaux que sont les villes). À Paris, ils sont donc disposés à dénaturer la beauté minérale légendaire de leur propre ville en l'infestant d'adventices (alias "pieds d'arbres végétalisés participatifs" inspirés de la culture des jardinets en friche et des ZAD) ou en sabotant un ouvrage d'art inestimable, comme le pont carrossable d'Iéna dévoyé en jardinière et parc à vélos.

Ils vont jusqu'à présenter "chaque arbre" d'une ville comme rigoureusement vital à ses habitants : "essentiel à leur survie" (sic). Un par un. Y compris ces arbres, en nombre toujours croissant, qui semblent surtout permettre aux défenseurs de la nature à coups de chaînes de vélos... d'assouvir le désir de s'approprier tout l'espace public en y enchaînant sans vergogne leur véhicule individuel (notre illustration) jusque sur nos trottoirs.

Le drame que vit actuellement Paris, c'est la prise de pouvoir par une virulente minorité de gens qui ne sont pas "citadins dans l'âme".

Car ils en usent comme d'un pouvoir de nuire à leur ville, en tant que fruit complexe de la civilisation. Ils s'en flattent et justifient leurs altérations régressives contre ce fruit par une primauté accordée à la nature. Primauté arbitraire, puisqu'elle est une aberrante négation du principe même de ville.

Ceux-là sont obnubilés par "l'agriculture urbaine" et autres âneries désobligeantes pour l'authentique ruralité. Ils expriment leur aversion pour les villes en tant que haut lieu de pierre et non de lierre.

Ils résument cela d'une formule irréfléchie : Paris est trop minéral. Trop de Notre-Dame, trop de Sainte-Chapelle, trop de Louvre, trop de Panthéon, trop de place de la Concorde, trop de faubourgs Saint-Antoine et Saint-Honoré, trop de rue de Rivoli, trop d'Arc de triomphe, trop de palais de l'Opéra, trop d'îles de la cité et Saint-Louis, trop de Marais, trop de Pont-Neuf ou pont d'Iéna, trop de Tour Eiffel, trop de Théâtre des Champs-Élysées, de Maison de la Radio, d'Institut du Monde arabe, de Bibliothèque de France, trop de quais carrossables, trop de chaussées, trop de rues et ruelles, trop de toits de zinc ou d'ardoise, trop de Paris dans Paris.


B• Dans "le vivant" des villes, la chose la plus précieuse après l'être humain, c'est la ville même.

Parce qu'elle est un organisme vivant en elle-même, toute grande ville est effectivement constituée, autour de ses fondements immuables, d'un ensemble de "variables d'ajustement" dont aucune n'est intouchable. Aucune. Pas même l'être humain, dont on voit bien que sa population est en forte régression à Paris.

Oui, toute belle ville palpite de la vie de ses beaux arbres et des parcs créés par le délectable art des jardins. Non, sacraliser la biodiversité n'est pas une priorité pertinente dans les villes. C'est même complètement idiot.

Aussi idiot que le serait l'inverse : considérer la civilisation urbaine comme inexpugnable des réserves naturelles. Ou sacraliser la vie citadine au fond des bois et des mers.

Miss L.F.

(1) Chenu : vieilli et bonifié par le temps.

NDE : l'expression "transformation de Paris" et même "très grandes transformations de Paris" (communiqué du 4 mai 2022) a été officialisée et constamment revendiquée par l'actuelle maire de la capitale française, Anne Hidalgo, pour définir son action. Au point qu'il existe à la mairie de Paris un maire-adjoint qui en ait la charge sous cet intitulé exact. Non pas évolution, développement, entretien ni modernisation : transformation.

Commentaires

Anonyme a dit…
"Le vivant" au lieu de "la vie" c'est comme "le final" au lieu de "la fin". Même besoin de compliquer ce qu'on dit.
Sylvie Maillet a dit…
J'avais déjà remarqué que "le vivant" était employé par des snobs ou des perroquets du discours écolo qui ne savent plus dire "la faune et la flore"
Anonyme a dit…
En lisant cette analyse je cherchais un adjectif pour ce qui concerne les arbres.
Je trouve que dendrologique est trop scientifique. J'aimerais bien dire arboréen comme on dit marmoréen et arboré.

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