
En français, lorsqu'une information confidentielle ne le reste pas, on dit qu'elle filtre (et inversement que "rien n'a filtré") ou qu'elle transpire. C'est plutôt joli et très parlant.
Mais dans Le Monde [du 29 novembre 2006] et dans Le Figaro [du 16 novembre 2007], des journaliste sans doute recrutés par inadvertance n'ont pas craint d'écrire :"Son nom a déjà fuité dans les médias" (Le Monde) ; "le cabinet du Premir ministre britannique a fait fuiter les termes d'un possible compromis" (Le Figaro).
Organiser une fuite [d'information], voilà ce qu'il faut comprendre derrière l'effarant barbarisme "faire fuiter".
Rappelons que l'action de fuir s'appelle une fuite. Une fuite résulte donc de l'action de fuir et non de l'action de "fuiter" (sic). Cette incapacité à remonter à la source d'un mot, aussi limpide soit-elle, procède d'une grande paresse intellectuelle et d'une extrême inculture qu'on s'étonne de trouver réunies chez des professionnels de l'information écrite.
Il en existe un autre exemple profondément enkysté dans le français actuel : l'erreur sur l'adjectif se rapportant à la maturité. C'est ce qui est mûr qui parvient à maturité ; ce qui est parvenu à maturité est donc mûr - et non "mature", comme on l'entend souvent, sous l'influence de mauvaises traductions de l'anglais [en anglais, mûr se dit mature]. [lire à ce même sujet l'article "antonymes troublants" du 02.02.2008]
Pour revenir au très difforme verbe "fuiter" (sic), il relève de l'argot de métier de certains journalistes et n'a pas à en sortir pour s'exposer au public. Les architectes, entre eux, disent "un chiotte" [au masculin singulier] pour désigner ce qu'on appelait jadis "les lieux d'aisance". Mais face à leurs clients, les architectes désignent sur leurs plans les toilettes et non "le chiotte" ni "les chiottes". La distinction que les professionnels du bâtiment font entre leur argot de métier et leur discours public, les professionnels de la langue devraient se montrer plus aptes encore à la faire. Au lieu de quoi, quelques journalistes trouvent opportun de nous imposer leur jargon professionnel comme si nous étions "aux chiottes" avec eux...
Pour être exacts, notons qu'en novembre 2006, Le Monde prenait encore la précaution d'employer le verbe "fuiter" entre guillemets. Un an plus tard, Le Figaro éliminait les guillemets. Interrogés par la Mission linguistique francophone, ces journaux ont fait savoir que leurs correcteurs avaient décidé d'entériner le barbarisme "fuiter" sans autre forme de procès et sans prendre garde à la confusion entre bon français courant et mauvais argot de métier, contribuant ainsi à la désorganisation lexicale du français, par amour du corporatisme journalistique.
Si le verbe fuir ressemble vraiment trop peu à son substantif fuite pour que les journalistes parviennent à s'y retrouver, ce sont peut-être les journalistes adeptes de "fuiter" qui ressemblent trop peu à des professionnels de la langue pour être légitimés à peser sur son devenir. Non ?
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Commentaires
Nous vous invitons à relire notre article : le barbarisme "fuiter" n'a aucune raison d'être "applaudi", comme vous le faites, car contrairement à ce que vous croyez, il ne comble aucun vide. Le verbe exprimant la fuite d'une information confidentielle existe déjà depuis plus de cent ans, c'est TRANSPIRER. Il n'y a donc pas de vide à combler, juste un minimum de connaissance de sa propre langue à raviver...
À force d'entendre cet inepte "fuiter", vous vous y êtes insidieusement accoutumé et avez perdu de vue - ou n'avez jamais su si vous êtes très jeune - qu'une information douteuse CIRCULE ; et que si elle est confidentielle, elle TRANSPIRE. Si cela vous est trop difficile à relier à le notion de fuite (la transpiration est pourtant une FUITE de liquide corporel), alors, il vous reste la solution de dire correctement qu'une information fuit ou prend la fuite, pourquoi pas. Mais en aucun cas elle ne "fuitera".
Car perdre de vue - comme le font les journalistes tenants de ce barbarisme pathétique - qu'une suite vient du verbe suivre et non du verbe suiter, et qu'une fuite vient du verbe fuir et non du verbe fuiter, c'est sidérant d'inculture et de connerie. Vous excuserez le gros mot !