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le français de paresse voulu par Laélia Véron


Viser, trop éloigné du mot cible, a été changé par l'usage récent en cibler.
Postuler, trop éloigné du mot candidature, a été changé par l'usage récent en candidater.
Protéger, trop éloigné du mot sécurité, a été changé par l'usage récent en sécuriser.
Percuter, toucher, influencer, frapper ou affecter, verbes trop nombreux et précis, ont vu leurs diversités de sens gommées par l'apparition d'un fourre-tout anglomane : impacter. 

Et ainsi de suite.
Voici l'avènement des choix langagiers de pure paresse intellectuelle et verbale, paresse désormais revendiquée et normative, dont une certaine Laélia Véron [notre illustration] se déclare ouvertement la passionaria aux manières acerbes et punitives.

Que son large sourire ne vous trompe pas. Avec Laélia Véron, ça ne rigole pas : elle nous enjoint de déglinguer le français, et plus vite que ça. Toute autre position - et bien sûr le partage bienveillant d'une langue fluide et alerte, sans surcharge ni déperditions - est "révoltante" (sic).

Portée comme nous tous par la langue militante de son temps, cette jeune agrégée de lettres extrêmement férue de sa propre image dans les médias se pose en sauveuse providentielle d'un mal-parler dont les mérites seraient niés par les bien-pensants de la francophonie. Nous devrions tous nous "émanciper" (sic) de la langue française, comme on s'émancipe de l'esclavage.

Rien que ça.

Un magazine féminin l'interroge alors sur une récente [cet article date de 2019] bévue sémantique en vogue : l'émergence du néologisme "féminicide", qui nous est imposé par diverses associations, repris par tous les médias et maintenant même par le gouvernement [en France] avec obligation d'y souscrire, alors que deux mots existent déjà pour désigner l'homicide d'une femme. À savoir :

• uxoricide est le terme spécifique qui convient dans les cas où la femme tuée volontairement ou accidentellement est spécifiquement l'épouse ou la compagne de l'auteur ou l'autrice de l'homicide volontaire ou involontaire.

 • homicide est le terme approprié dans le cas général pour désigner un acte qui ne tue pas les hommes mâles, contrairement à une récrimination vindicative ressassée contre ce terme ! Mais tue des humains (avec un seul M) quel que soit leur sexe. C'est donc par méprise ignare que "féminicide" se veut la féminisation de "hommicide", avec deux M ; mot qui n'existe pas...

En réponse à la question du magazine féminin sur l'emploi du néologisme "féminicide" pour désigner en réalité l'uxoricide, Laélia Véron légitime l'abandon de ce terme multiséculaire (l'uxoricide) par "sa trop grande différence avec le mot femme".

Entrons dans ce raisonnement spécieux, ou immature, et évaluons-le par l'absurde.

Si uxoricide est trop difficile à rattacher aux mots épouse ou compagne et doit donc être rayé du vocabulaire pour être remplacé par un néologisme de compréhension immédiate (compagnicide ? épousicide ? - mais certainement pas "féminicide" dont la racine indique l'homicide d'une femme et non spécifiquement d'une partenaire sentimentale ou conjugale), alors d'autres reformulations analogues s'imposent, et par milliers.

Donnons quelques exemples de simplifications à apporter à notre français selon ce raisonnement de paresse intellectuelle revendiquée au nom de "l'émancipation" d'une certaine intelligence de la langue, revendication qui n'est certes pas la nôtre : 

Gynécologue, beaucoup trop éloigné du latin signifiant femme, serait à changer en féminologue. [Soyons cohérentes, les filles : si le latin uxor est trop exigeant intellectuellement pour le français simplifié, que dire du grec γυναίκα ?].

Euthanasie, beaucoup trop éloigné du mot mort et trop élitiste par son hellénisme serait à changer en ce que signifie son étymologie grecque : bonnemortie. 

Philosophie, trop éloigné du mot pensée, serait à changer en pensement.

Art dramatique, trop éloigné du jeu d'acteur, serait à changer en art actricique (au féminin) et art acteurique (au masculin et au neutre mixte). 
 
Chorégraphe, trop éloigné du mot danse, serait à changer en chargé des situations dansées.

Écologie, trop éloigné du mot nature, serait à changer en développement durable.

Développement durable, toujours plus éloigné par inadvertance du mot nature, mais aussi trop alambiqué, trop pédant et surtout trop éloigné du mot écologiste, serait à retraduire en écologie. 

Gastronomie, trop éloigné des mots chef étoilé et trop hellénisant, serait à angliciser en top chef.
 
Députée et député, injustement éloignés du nom Assemblée nationale contrairement à la sénatrice et au sénateur avec leur Sénat, seraient à changer en assemblés nationaux.

Néerlandais, trop éloigné du nom Pays-Bas, serait à changer en Pays-basque ; ou Pays-basique, si jamais les Basques se montrent hostiles à cette homonymie.

Et bien sûr :
Dictionnaire, trop éloigné du mot mot mais aussi trop proche des mots justes, sera à brûler.

Après le vieux français, le français moyen puis le français classique et le français moderne, le vingt-et-unième siècle du tout à l'écran portable instaure le français de paresse.

Certains professionnels de la langue le promeuvent activement, par préférence à la pratique d'une langue juste et vigoureuse, maniée avec allant. "Le français est à nous", prônent-ils, "nous sommes donc libres de le déformer". Dans leur esprit, la langue "est à nous" non comme un bien commun unificateur et durable (au sens propre) selon un principe immémorial, mais désormais comme un bien individuel jetable.

Choyée par Radio France comme par France Télévision qui la mettent à contribution dans des réponses aux auditeurs affligés par certaines bévues de langage, Laélia Véron est en passe de donner le la dans les médias parlés du berceau de la francophonie. Le drame, (si, si, c'en est un), c'est qu'elle revendique la destruction de la justesse de notre langue, à l'instar d'un chef d'orchestre prônant les fausses notes et les erreurs de rythme, le mépris de la partition dont chaque musicien devrait "s'émanciper". La cacophonie est sa vision du bonheur.


Pour Laélia Véron, notre langue est "à nous" comme le divan d'Oblomov était à Oblomov, lui qui s'y allongea à jamais prisonnier de son incapacité à vivre, et le déforma jusqu'au tombeau sous le poids de son incurable paresse.


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NDE : "Le français est à nous !" [couverture du livre en illustration] est la thèse et la devise de Laélia Véron. Comment comprendre cette tautologie dans sa formulation épate-gogo ? Selon elle, le français est-il à nous tous en tant que trésor collectif fédérateur à ne pas démanteler égoïstement, parce qu'il est notre bien commun au même titre que les calanques de Marseille que nul ne peut bétonner ni dynamiter à sa convenance ? Non, non, non, pas dans l'esprit de notre ennemie du bien commun : la langue française est à toi, mon pote, au sens où tu peux la vandaliser et la violer en réunion si tu veux !

Dans un établissement universitaire orléanais, donc
aux frais des contribuables du berceau de la francophonie, elle professe même que c'est "révoltant" (sic) de ne pas adhérer à une démolition en règle de la langue sous les coups de l'incompétence professionnelle de certains rédacteurs et orateurs de métier. C'est "révoltant", selon ses termes exacts, d'exiger de la part des professionnels de la communication qu'ils fassent montre de soin envers un tel outil de communication : une langue vivante, donc vulnérable et même périssable.

Nous écrivons "périssable" car l'impénitente twittereuse-youtubeuse s'irrite que les Académiciens français (à qui elle aime apprendre à repenser leur mission collégiale) puissent affirmer que toute langue vivante est mortelle, à défaut de soins attentifs. Laélia s'irrite de ce truisme, comme si l'araméen, le gaulois et le latin ne s'étaient pas avérés mortels. C'est "révoltant" d'être soucieux de la santé d'une langue, multiple mais cohérente, apte à rester intelligible à travers le temps et les styles, de MC Solar ou Brassens
à Kundera, Baudelaire, Stendhal et Malherbe ? C'est "révoltant" de s'inquiéter qu'une telle langue puisse devenir bientôt langue ancienne, désunie et totalement imbitable à force de coups redoublés portés à sa syntaxe, son articulation et son lexique ? Non, Laélia, c'est lucide.

Mais qui donc aspire à maintenir une langue vivante "figée et intouchable" (sic) que vous dites combattre, Laélia ? Personne. Certainement pas, en tout cas, les dizaines et dizaines de millions de francophones joliment à l'aise dans leur langue évolutive, mais mal à l'aise devant des lacérations par ignorance ou par négligence qui la désagrègent et la brouillent.

Qui donc aspire, selon votre crainte feinte, lourde de sophisme, à faire du mal à une langue vivante en l'empêchant de vivre ?

Certainement pas cette immense majorité de partisans - humbles et discrets, eux - d'un partage linguistique et langagier transparent ; qui tiennent une bourde pour ce qu'elle est, et non pour une "variante" selon votre sophisme favori. Ces humbles sans crédulité envers votre thèse, vous les toisez avec autant de morgue scolaire et volontiers insultante que d'inclination à leur prêter des turpitudes fictives dont il conviendrait de se libérer sur votre injonction irréfléchie.

Il se trouve simplement que le spectacle de la dislocation d'une langue vivante, accélérée par des pratiques approximatives et sans fraîcheur, ne peut être un authentique sujet d'enthousiasme.

Il ne l'est pour aucun des linguistes éminents
- surtout pas Claude Hagège (cf. Halte à la mort des langues, 2002) - que vous vous aventurez parfois à invoquer à l'appui de votre prosélytisme, feignant de confondre "usage constaté" et légitimité culturelle ; et ce, avec beaucoup de mauvaise foi ou d'absence de rigueur dans la recherche philologique. L'usage de battre ses enfants est-il légitime et soudain correct à vos yeux du seul fait qu'il est un usage constaté, maîtresse ?

Le souci d'un développement durable, harmonieux et florissant de notre langue en tant que milieu vivant, donc fragile, il faudrait être vandale dans l'âme, très cynique ou très immature pour le fustiger.


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Commentaires

Anonyme a dit…
C'est surprenant de trouver ici une telle attaque ad personam.
Miss LF a dit…
Dans toute joute, il est opportun que les jouteurs respectent une même règle du jeu. En entrant dans le sien (ce qui est peut-être une erreur), il faut citer nommément qui l'on contredit et lui répliquer sans ménagements. Nous n'allons pas plus loin que ça.
Anonyme a dit…
Votre contre-feu est très bien pensé, et le titre "français de paresse" décrit les choses avec objectivité. Dans la paresse, tout est bon à prendre pour ne pas chercher plus loin. Mais je crois que vous êtes naïve car vous n'avez pas compris la position révolutionnaire qu'elle assume, avec la volonté de détruire l'ordre établi, de démolir la réussite par l'effort. Vous n'avez pas non plus relevé le fait qu'elle se présente comme une spécialiste du style, et que de ce point de vue elle n'est pas "en faute" quand elle affirme qu'on peut parler et écrire comme on veut. C'est vrai, même en verlan ou en javanais. Ce qui est malhonnête c'est de créer une confusion entre liberté de style et la destruction publique des règles de compréhension générale inhérentes à toute langue, même le verlan et le javanais.

Envie de vous citer Paul Valéry, inscrit sur une HLM près de chez moi : "Il y a deux visions du monde, la vision qui divise et la vision qui unit".

Cette personne a choisi le camp de la division par la désunification de la langue, et vous avez raison de la citer nommément, car elle l'a choisi en tant qu'individu.
Anonyme a dit…
J'ajoute que c'est triste, une supposée spécialiste de notre langue qui trouve trop compliqué de dire gynécologue parce que "c'est trop loin du mot femme". . .

Cela me fait penser à Georges Canguilhem, et tant pis si elle me trouve trop inféodée à la culture livresque : "le rêve de simplifier au nom de la facilité collective n'est même pas le rêve de retour à une société archaïque mais à une société animale."
Lucie10T a dit…
On sent que les commentaires sont de vous, il sont tellement bien écrits ! Et je ne me moque pas !
Miss LF a dit…
C'est gentil, et peut-être lucide, Lucie, mais ne sous-estimez pas la multitude de personnes qui lisent encore beaucoup de bons auteurs et écrivent donc bien. Ou qui ont l'instinct de la fluidité de notre langue et de plusieurs autres. Miss L.F.
Lucie10T a dit…
Vous m'avez rassurée. Je ne suis pas seule à juger idiote la thèse de l'émancipation linguistique. La linguistique est une science. S'émanciper d'une science, c'est la définition de l'obscurantisme. Pour les professionnels de n'importe quelle langue, la parler correctement est un devoir. S'émanciper d'un devoir, c'est une des définitions de la paresse, en effet. Obscurantisme et paresse sont les deux œillères dont cette inconnue voudrait nous équiper pour ne plus observer les règles de notre langue.

Il doit se glisser aussi pas mal d'anarchie dans cette idéologie.
Pierre a dit…
Quel réconfort pour moi, de lire votre pamphlet. On devrait le lire dans toutes les écoles, les belges aussi...

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