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bleu d'Écosse ou bleu des Causses ?

Depuis près de trois mille ans, il existe dans l'alphabet grec deux voyelles distinctes pour les deux types de sons "o" :
• le "grand ô" (en grec : oméga),
• le "petit o" (en grec : omicron).

Les sons ô (comme dans sirop) et o (comme dans poche) sont de nature tellement différente que la civilisation hellénique leur a attribué deux signes distincts dans un alphabet qui ne comporte pourtant que vingt-quatre lettres.

L'alphabet latin, que nous avons préféré adopter, ne faisait pas cette distinction et ne possède qu'un simple o. Cette carence a été palliée en français non seulement par l'accent circonflexe mais par une ribambelle de manières précises d'écrire les deux sons "o" : o, ô, au, aux, eau, eaux, aulx, et en fin de mots : -ault, -aud, -op, -ot, -ots, -od, -os, -oc (comme dans croc, broc, accroc et non comme dans soc, foc ni troc), liste à laquelle il faut ajouter encore les ô longs du  double oo de zoo et du -oa- de certains termes empruntés à l'anglais (tels toast, goal ou roadster)

Si en français, le son o "ouvert" (comme dans vol) ne peut se tracer que par la lettre "o", on voit que notre langue écrite s'acharne quelque peu à multiplier les efforts dans la représentation des son ô "fermé", ceux du bel oméga Ω (son ô comme dans faux).

En effet, hormis le simple o sans accent circonflexe, les autres manières d'écrire que nous venons de récapituler sont toujours à prononcer comme l'oméga, à savoir le ô fermé de eau-de-vie, drôle ou Renault.

Il arrive aussi que le o sans accent circonflexe doive se prononcer comme s'il en comportait un ; tel est le cas de tous les o de trop grosse moto rose, par exemple, dont tous les o sont à prononcer "fermés". Au nom d'un accent local, on peut faire fluctuer cette sonorité, sauf quand la signification en est brouillée : prononcer cote bretonne au lieu de côte bretonne, ou côte de maille au lieu de cotte de maille, par exemple, relève de la confusion de sens générale et non de la musicalité régionale.

Alors, puisque le o sans accent circonflexe se prononce ouvert comme un omicron dans certains cas (parole, oral, postnatal, sport, moqueur, écossais, estocade) et fermé comme un oméga dans d'autres cas (scénario, mot, argot, cheminot, gros, héros, repos, zone, escroc), comment s'y retrouver ?

Si vous n'êtes pas un professionnel de la langue parlée - enseignant, orateur juridique ou politique, journaliste, animateur, comédien, etc - faites comme vous voulez ! Mais si votre métier est de transmettre en français des informations par la voix, fiez-vous à votre compétence ou accroissez-la en vérifiant au besoin si l'Écosse se prononce comme les Causses ou non, si les crues atteignent une côte d'alerte ou une cote d'alerte.

Une fois que vous aurez vérifié, ne nous parlez pas au micro d'un "juge écôssé" (sic) car il est écossais. Avec un beau son é (comme dans fée) au début, un bel o ouvert (comme dans mode) au milieu, et un beau son ê (comme dans aigle) à la fin. Trois sons voyelles précis, multiples et non interchangeables, sous peine de confondre l'Écosse et les Causses, mais aussi les bolées et les bolets ou les poignées et les poignets.

Le plus surprenant, c'est que les journalistes confirmés que nos observateurs ont entendu évoquer la décision d'un tribunal "écôssé" au lieu d'écossais ne prononcent pas Écôsse au lieu d'Écosse. Ce qui s'est donc altéré en eux, bien qu'il s'agisse de leur métier, c'est ce que les spécialistes appellent le sentiment linguistique : la maîtrise instinctive des corrélations les plus naturelles au sein de sa langue maternelle. Puisque l'orange tire son nom de l'or, et puisqu'on ne dit pas que l'on porte des bijoux en "ôr" mais en or, de même on ne devrait jamais entendre dire "Ôrange" mais Orange (comme dans or). Voilà une corrélation simple qui ne relève pas du purisme vétilleux, et moins encore du parisianisme, mais d'une instinctive cohérence phonétique francophone, de Genève jusqu'à Nouméa.

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L'oméga : capitale Ω, minuscule ω  
L'omicron : capitale Ο, minuscule ο

Commentaires

Chamfort a dit…
C'est marrant, j'étais justement chez un fromager meilleur ouvrier de France du côté de la Bastille, un jeune sans aucun accent me sert. Je vois un beau bleu des Causses à son étalage et lui en demande. Il me répond : "Un peu de bleu des cosses ?" Je ne l'ai pas repris, c'est pas poli. Mais faut le faire de proposer du bleu des cosses ou d'Écosse au lieu des Causses. Les moins de 30 ans n'ont plus aucun repères dans la prononciation, pour plusieurs raisons je crois.

La première, curieusement s'agissant de parole et non d'écriture, c'est qu'ils ne lisent plus que distraitement. Donc ils n'entend pas à longueur de temps comme nous l'entendons depuis toujours, nous qui avons des milliers de jours de lecture attentive à notre actif, cette voix intérieure qui récite les textes à haute voix en nous même quand nous restons muets devant la page, et nous fait entendre depuis la première leçon de lecture à l'école maternelle la différence de son O entre "faux" et "fort", et la multiplicité des justes sons É/Ê entre "aimer", "aimait" et "émet".

Par ailleurs, il y a une véritable tendance à prononcer par principe le contraire de ce qu'on a appris à l'école (à moins d'avoir eu des maîtres nuls). Quand on lit telles lettres, il faut dire "ê" ? Alors disons "é" ! C'est un rite d'identification générationnel, conscient ou non. C'est aussi une préciosité d'un nouveau genre.

Bref, le bleu des Causses était excellent, mais n'avait aucun rapport avec les cosses, n'en déplaise à mon jeune fromager !!!
Pierre a dit…
Typiquement française - je veux effectivement dire de France - cette prononciation fautive. En Belgique, nous faisons toujours la différence entre "Causses" et "Écosse." En revanche, certains Belges martyrisent d'autres mots, c'est connu. P.S. Je suis Belge..
Miss LF a dit…
Typiquement française, en effet, et devenue typique désormais du français médiatique de France, pour être précis.

Un phénomène de mode au suivisme puissant, qui s'alimente inexorablement à ses propres erreurs. À commencer par la diction approximative des rappeurs et chanteurs de variété, non rectifiée en studio par leurs ingénieurs du son pourtant censés avoir l'oreille musicale - or il s'agit bien de justesse dans la musicalité d'une langue. Ces confusions phonétiques font tache d'huile (et non tâche...), encrées dans les mémoires adolescentes, à coups de "il est où le beau-neur ?" (C. Mahé) et de "cartes peau-stales" (Camille).

Nous pronostiquons que cette dérive sera sans retour. Elle est déjà de règle, presque sans exception, dans la bouche des présentateurs et journalistes radiophoniques de moins de trente ans s'exprimant à l'antenne des entreprises audiovisuelles publiques de France (Radio France, France Télévisions).

On se souvient aussi de la célèbre "dame de hotte sa voix" (F. Cabrel) qui vivait en réalité en Haute-Savoie, où cette diction n'a pas cours. Mais il s'agissait ici pour l'artiste de souligner ses racines occitanes. Quand la chanteuse parisienne Camille nous adresse des cartes "peau-stales" et veut "blôquer l'ascenseur", connaissant son niveau d'études supérieures, on ne peut l'attribuer à une mauvaise orthographe. Ce n'est que la perte de repères, qu'elle fut une des premières à promouvoir ainsi en France, dans la distinction chatoyante entre les o ouverts et les ô fermés, les omicrons et les omégas de notre phonétique gréco-latine.

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