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louer solidaire

Cherchant à concurrencer les sites de location de particulier à particulier, la mairie de Paris a créé un service municipal spécifique (1). Personne n'a été en mesure de lui trouver un nom en vrai français. La première magistrate de la ville semble avoir jugé préférable d'accélérer l'effondrement de la syntaxe et du vocabulaire en choisissant la dénomination "louez solidaire", qui viole durablement la grammaire du français. La Fondation Abbé Pierre tombe dans le même travers, sans davantage d'égards pour ce trésor premier des humbles : la langue qu'ils parlent sans bourse délier.

On apprend pourtant dès l'école primaire que les verbes (ici le verbe louer à l'impératif) sont qualifiés non par des adjectifs (ici solidaire) mais par des adverbes. En français, on participe activement, on donne généreusement, on informe charitablement et on agit solidairement.

La Mission linguistique francophone invite donc les propriétaires parisiens à s'abstenir absolument [et non "s'abstenir absolu", pour reprendre la même faute de construction] de "louer solidaire" comme les y exhorte leur mairie.

Nous nous plaçons en cela sous la protection de la loi de 1994 imposant aux administrations l'emploi du français, et non de ce charabia de stagiaire en roue libre, régurgitant la langue délabrée dont il s'est goinfré à longueur de pause de publicité devant la télévision. Il est encore temps de corriger en haut lieu cette atteinte négligente à une langue française qui n'en peut plus. La majorité du Conseil municipal n'est sans doute pas constituée d'ignares, sourds à la syntaxe de leur propre langue. Quant à l'entêtement dans l'erreur, si les élus locaux étaient tentés de s'y adonner comme s'y adonnent ici les cadres territoriaux concernés, rappelons-leur que ce n'est pas l'apanage des incompétents, mais que c'en est souvent le signe distinctif...

On note que l'incitation publicitaire placardée par la mairie de Paris "louez solidaire et sans risque" qualifie doublement le verbe : une fois correctement (locution adverbiale sans risque) et une fois n'importe comment.  Noue ne somme pas prof de français, mais sa nous constêrne... Tiens, là vous tiquez enfin, chers élus municipaux, n'est-ce pas ?  Les fautes de syntaxe sont pourtant plus graves que celles d'orthographe, car elles s'attaquent à l'intelligence même de la langue en faisant s'effondrer sa cohérence structurelle. Que n'y remédiez-vous ?

Nous ne doutons pas que la Fondation Abbé Pierre vous montrera la voie en rectifiant le tir la première, par charité pour le trésor premier des humbles évoqué ci-avant. A moins qu'à la Fondation aussi, les entêtés dans l'erreur règnent en maîtres.

(1) Un service spécifique... et non un service "dédié".

NDE : Historiquement, la dérive de l'adverbe vers l'adjectif correspondant s'est répandue en France sous l'influence d'un slogan publicitaire ainsi formulé dans les années 1980 : "ne bronzez pas idiots", sur le modèle de l'expression "ne pas mourir idiot". Il se trouve que "mourir idiot" est parfaitement correct sur le plan grammatical, puisqu'il est question de mourir en étant idiot, et non pas de mourir idiotement (par exemple d'un coup de bilboquet sur le crâne). "Bronzer idiot" avait déjà un statut grammatical plus ambigu, puisqu'il s'agissait moins d'être un idiot, reconnaissable au choix de vacances sans intérêt, que de bronzer idiotement car sans rien faire d'intelligent, à la façon d'un idiot que l'on n'est pas. Le succès de ce slogan a engendré une multitude de titres d'articles de presse et de prises de parole publique sur le même modèle ("ne votez pas idiot", "ne mangez pas idiot" ; puis "votez utile" au lieu de votez utilement, ou "mangez sain" au lieu de mangez sainement). Ce tic médiatique a fait tache d'huile dans le français familier. "Louer solidaire" descend donc directement de la contorsion publicitaire "bronzer idiot", et non de "travailler dur" ou "frapper fort", tournures irréprochables, car dur et fort y sont bien des adverbes invariables et non les adjectifs homonymes.

Commentaires

Chambaron a dit…
Si la prolifération abusive que vous dénoncez est bien réelle, on ne peut nier que les instances académiques n'ont jamais été au clair avec le disting(u)o adjectif-adverbe ! Pourquoi avoir toléré de longue date qu'une bonne dizaine d'adverbes s'accordent – "parce que c'est l'usage" – devant un adjectif ? Ils sont arrivés grands premiers (pour grandement), des fleurs fraiches cueillies (pour frais ou fraichement), etc.

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