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le ou la COVID : faut-il en faire une maladie ?


Après les tensions sociales et psychologiques suscitées par la peur du virus lui-même, des tensions d'ordre grammatical sont apparues à la faveur de la pandémie déclenchée par ce mal dénommé covid-19*.

Ou plus exactement, à la suite d'une recommandation de l'Académie française préconisant tardivement de ne pas désigner cette affection par un neutre d'apparence masculine mais par un neutre d'apparence féminine : la covid. Les Académiciens, qui ne se prononcent pas à la légère, ont émis la justification suivante : covid est ne contraction de Corona Virus Disease. Or, disease, se traduit en français par le substantif féminin maladie, en foi de quoi l'article féminin est préférable.

Cette démonstration académique est plus qu'imparfaite. "Nous l'allons montrer tout à l'heure" comme eut dit l'Immortel La Fontaine.

Mais soulignons déjà que l'Académie s'est limitée à juger "préférable" de basculer du masculin le covid - universellement employé jusqu'alors - vers le féminin la covid. À lui seul, le caractère facultatif de sa recommandation coupe court à toute irritation trop vive contre l'emploi persistant de l'article le devant covid. Car une telle irritation ne relèverait pas d'un purisme bénin mais d'une poussée d'hypercorrection, dont le symptôme est de prétendre redresser des torts qui n'en sont pas.

Or le tort est ici fictif car l'argument de l'Académie ne convainc guère. Nous l'allons montrer maintenant.

L'anglais disease appelle-t-il le féminin propre à notre mot maladie ? Non, car a disease se traduit aussi bien par un mal. Le neutre anglais disease n'est donc pas féminin dans sa traduction française mais rigoureusement neutre ou mixte puisque nous pouvons le traduire indifféremment par un masculin (un mal) ou un féminin (une maladie).

Quant aux autres justifications entendues ici ou là en faveur du féminin la covid, elles tombent d'elles-mêmes. Le français désigne-t-il toujours ses maladies ou affections par un féminin sous prétexte que le mot maladie en est un ? Non : le cancer, le sida, le typhus, le rhume, sont là pour le prouver. Le français opte-t-il cependant pour le féminin lorsque l'étymologie étrangère se traduit chez nous par un féminin ? Non plus : zona signifie en latin la ceinture. Pour évoquer ce mal dont les éruptions ceinturent et ceignent le thorax, le français a choisi le zona et non la zona. Il s'agit pourtant d'une dermatose.

Moralité : le ou la covid-19, faut-il en faire une maladie ? Surtout pas. Les termes dont le genre n'est pas tranché sont rarissimes en français mais ils existent. Considérons avec aménité que covid s'y ajoute sans nuire à la cohérence interne de notre langue ni à personne.

Sur ce, bon après-midi aux uns et bonne après-midi aux autres !


NDE : Il n'est pas légitime de persister à orner Covid d'une majuscule puisque COVID est devenu un nom commun (les linguistes disent que l'acronyme s'est "lexicalisé"). Nous y avons donc renoncé.

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