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accident de bébé

La RATP peine à formuler dans un français impeccable ses annonces sonores ou écrites. Tel un étranger s'égarant dans le dédale des couloirs, elle s'égare dans le sens des mots les plus simples.

Ainsi, la RATP annonce-t-elle depuis plus de vingt ans des accidents voyageurs (sic) ou, moins ridicule mais non moins inexact, des accidents de voyageurs. Pour signifier par là qu'un voyageur a été accidenté.

Or, en français, on ne désigne jamais un accident par la nature de la victime, mais toujours par la nature de ce qui a causé l'accident : accident d'avion, et non accident de passager ni accident de pilote de ligne ; accident de voiture, et non accident de passager ni accident d'automobiliste ; accident de ski, et non accident de skieur ; etc.

Quand un bébé est victime d'un accident domestique [un accident causé par la vie à la maison] et qu'on appelle à l'aide, on ne dit pas : "Au secours ! J'ai un accident de bébé" !

Par cette maladresse intentionnelle ("Un accident de voyageur à la station Georges V..."), on subodore que la RATP répugne à assumer le fait que des voyageurs soient victimes d'accidents de métro. Ou même d'accidents dans le métro. La RATP répugne à admettre que des voyageurs se blessent accidentellement dans le métro, voire volontairement (tentatives de suicide). Alors, elle invente "l'accident de voyageur". Comme ça, c'est la faute à personne.

La Mission linguistique francophone rappelle donc que, partout dans le monde francophone, hélas, des personnes peuvent être impliquées dans des accidents d'avion, des accidents de train, des accidents de voiture ou de moto, des accidents de montagne, des accidents du travail, des accidents domestiques, des accidents corporels, des accidents de parcours, etc ; mais que des accidents de voyageurs, cela n'existe pas plus que des accidents de bébé.

Que devrait annoncer la RATP ? "Un voyageur accidenté", bien sûr. "Un voyageur ayant été accidenté à la station Georges V, le trafic est interrompu sur la ligne 1", voilà une formulation simple et irréprochable qui ne sauvera pas le malheureux blessé... mais qui sauvera un peu notre intelligence collective de la langue.

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Commentaires

Unknown a dit…
Il me semble que vous êtes passés de peu à côté de la bonne explication, en poursuivant le raisonnement "on ne désigne jamais un accident par la nature de la victime, mais toujours par la nature de ce qui a causé l'accident""l'accident de voyageur" signifie donc un accident causé par un voyageur la victime est le réseau RATP ou les autres voyageurs. la formule est d'ailleurs apparue pour éviter de parler ouvertement de suicide. Donc la RATP, plus encore que de répugner que des voyageurs puissent se blesser se positionne en victime vis-à-vis de certain malheureux
Miss LF a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Miss LF a dit…
Nous sommes bien d'accord, Jean-François, c'est exactement notre analyse : la RATP se pose en victime... de ses victimes d'accident ferroviaire. Mais surtout, elle instille l'idée qu'il faudrait dire un accident de conducteur au lieu d'un accident de voiture ; un accident de skieur au lieu d'un accident de ski ; ou un accident de bébé au lieu d'un accident domestique, à propos d'un bébé qui se cognerait sur un coin de table. Or, non : cette présentation des choses n'existe pas dans notre langue ni notre pensée cartésienne dont nos expressions sont le reflet. L'exception inventée par la RATP est à contrer activement pour les raisons exposées dans l'article ci-dessus. Miss L.F.

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