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"suite à" : ses ravages s'amplifient

La locution suite à ravage toujours plus amplement la langue française. Les dix dernières années furent marquées par son expansion dégoulinante et l'appauvrissement impressionnant qui en résulte et se confirme. 

Curieusement, la formule suite à est construite selon une aberration syntaxique que personne n'applique à d'autres locutions similaires (1). Qui dit "cause à" au lieu de "à cause de" ? Personne. C'est pourtant exactement la même faute de syntaxe qui est commise d'un cœur léger dans "suite à" au lieu de "à la suite de". Cette surdité aux incohérences internes à sa propre langue, voilà ce qui intrigue et consterne.

Mais le problème tient surtout à la désertification culturelle et intellectuelle causée par la propagation ravageuse de la faute de français "suite à". Nous dressons ci-dessous une liste de vingt-et-une prépositions et autres formules synonymes, mortes ou agonisantes par la faute de "suite à".

UNE LOURDE FAUTE DE FRANÇAIS BANALISÉE

En 2022, bien qu'elle reste une lourde faute de français, non seulement la locution "suite à" n'est plus perçue comme telle par de nombreux locuteurs cultivés et expérimentés, mais elle a effacé du discours ambiant des locutions que l'on croyait bien ancrées dans notre langue. Des locutions qui nous sont en toute certitude extrêmement utiles, qui existent dans les autres langues, et dont seule la nôtre est en train de se priver. Ces synonymes corrects, plus fins et plus explicites, généralement plus simples (tel après), nous les voyons expirer, victimes de la paresse intellectuelle et du suivisme langagier qui ont permis en moins de vingt ans au barbarisme technocratique "suite à" de les évincer.


D'OÙ VIENT "SUITE À" ?


Rapport à (..."rapport à vos antécédents"...) et suite à (..."suite à notre débâcle"...) ont gagané les faveurs du parler populaire il y a une centaine d'années en qualité de plaisanteries de comiques troupiers raillant la mauvaise maîtrise de la syntaxe par les administrations. Formules bancales par dérision, faussement raffinées, elles étaient placées dans la bouche de troufions ou d'adjudants reprenant ces bourdes asyntaxiques de la langue administrative, mais dans un discours qui se voulait châtié. Le public n'était pas sourd à la cuistrerie de ces formulations et se tordait de rire. Le conscrit et son "suite à" étaient les ancêtres du policier de Coluche et de son hilarant "un visage pas tibulaire, mais presque" !

Hélas, aujourd'hui le public fait du comique troupier et du pré-Coluche sans le savoir, en se rengorgeant d'employer une locution aberrante, comme un bourgeois gentilhomme au comble du ridicule et ne s'en apercevant pas.


• LISTE DES TERMES CORRECTS QUE L'INCORRECT "SUITE À" EST EN TRAIN D'ANNIHILER

"Suite à" est une expression fautive employée sans discernement à la place d'une vingtaine de termes irréprochables. Voici les synonymes qui doivent lui être préférés en toute circonstance, pour s'exprimer dans un français limpide, précis et dépourvu de ridicule :

à la suite de (tout comme il faut dire "le salaire de la peur" et non "le salaire à la peur", la seule forme correcte est "à la suite de" et non "(à la) suite à", colossale faute de construction du complément de nom)
pour faire suite à (correct : "pour faire suite à votre demande" et non "suite à votre demande")
• après (on dira "après examen de votre réclamation" et non "suite à l'examen de votre réclamation" ; comme on dira "après tant d'échecs" et non "suite à tant d'échecs")
• depuis (correct : "depuis ton départ, je m'ennuie" et non "suite à ton départ...")
devant (correct : "devant le succès rencontré par cette initiative..." et non "suite au succès rencontré par cette initiative...")
par (correct : "par sa désinvolture, elle nous met danger" et non  "suite à sa désinvolture...")
à cause de (on notera que personne ne dit "cause à", cette aberration étant réservée à "suite à")
• en raison de (on notera que personne ne dit "raison à", cette aberration étant réservée à "suite à")
du fait de (correct : "du fait de ces imprécisions" et non "suite à ces imprécisions")
compte tenu de (correct : "compte tenu de votre attitude, votre place n'est plus parmi nous" et non "suite à votre attitude...")
• à l'occasion de (correct : "à l'occasion de sa venue" et non "suite à sa venue")
lors de, pendant (correct : "poignardé lors d'un contrôle d'identité" et non "suite à un contrôle")

• avec (correct : "avec le début du printemps, les allergies se multiplient", et non "suite au début du printemps...")
• faute de (correct : "faute de place" et non "suite au manque de place")
pour (correct : "licencié pour avoir menti" et non "licencié suite à un mensonge")
parce que (correct : "parce que j'ai peu d'amis" et non "suite à mon peu d'amis")
conformément à (correct : "conformément à nos engagements" et non "suite à nos engagements")
en réaction à (correct : "en réaction au conformisme de son milieu familial, il se détourne de la religion" et non "suite au conformisme de son milieu familial...")
• dans le cadre de (correct : "dans le cadre de nos efforts diplomatiques, nous réitérons cette demande" et non "suite à nos efforts etc..")
dès (correct : "les pickpockets entrent en action dès l'ouverture du musée" et non "suite à l'ouverture du musée, les pickpockets entrent immédiatement en action")
à (correct : "les bagages ont été perdus à notre arrivée" et non "les bagages ont été perdus suite à notre arrivée")
avec (correct : "la brume se dissipe avec l'aurore" et non "suite à l'aurore, la brume se dissipe")

• etc

On voit que le pire défaut du recours machinal au vague "suite à", quelle que soit sa faute grammaticale, c'est que cela dispense de penser à ce qu'on exprime : c'est de la parole non seulement mal formée mais sans idée précise.

On entend aussi progresser son utilisation abominablement stupide comme pivot doté d'une valeur qualificative, dans une formule comme "il y a trop de noyades suite à des imprudences", ou "la SCNF accumule des pannes suite à la neige". Cela au lieu de ceci :

• par ("noyades par imprudence")
• causées par, occasionnées par, provoquées par (des imprudences)
• dues à, consécutives à, imputables à  (des imprudences)
• résultant, découlant (d"imprudences)

Alors, que faire contre le cancer suite à ? Ne pas craindre de reprendre avec obligeance les utilisateurs innocents de cette formule coupable.


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(1) Une linguiste dont nous tairons charitablement le nom croit voir une légitimation de la récente forme "suite à" dans l'existence multiséculaire de "face à" et "grâce à". L'Académie française ne partage pas son analyse et nous non plus : ces deux locutions sont hors-sujet, voire hors-jeu pour voler au secours de la réduction de "à la suite à" en "suite à", car elles ne sont issues ni de "à la grâce de" ni de "à la face à". En atteste l'impossibilité de dire "à la grâce de toi" au lieu de "grâce à toi" ou "à la face de toi" au lieu de "face à toi".  Elles ne légitiment pas non plus l'abréviation de "pour faire suite à" en "suite à", puisque "grâce à toi, je suis heureuse"
ne saurait se dire "pour faire grâce à toi, je suis heureuse" non plus que "face à toi, je cède" ne saurait se dire "pour faire face à toi, je cède".

Commentaires

Anonyme a dit…
Correcteur indépendant, je suis souvent confronté à cette difficulté mais, une fois n'est pas coutume, je ne suis pas d'accord avec vous (à l’instar de certains grammairiens).
1. Une interrogation sur la base Ngram Viewer (la plus large analyse de textes depuis le XVIe siècle) montre qu'elle est utilisée régulièrement depuis 1780 environ, avec une accélération dans les années 1980. Il n'y a pas d'influence du comique troupier ni d'aucun évènement de type administratif .
2. Lorsqu'on consulte les attestations (des centaines), on est surpris de la variété des domaines d'emploi : scientifique, parlementaire, historique ou littéraire (même chez Proust).
3. Les formes "donner suite à…" et "faire suite à…" sont correctes, la préposition n'est donc pas en cause.
4. Linguistiquement, il n'y a pas de confusion et le raccourcissement des formes anciennes se retrouve un peu partout sans faire l'objet de foudres académiques (cf. faute de… ou face à…).
On peut néanmoins condamner l'usage abusif où le mot "suite" perd toute signification causale ou temporelle.
Finalement, je trouve que le combat est déplacé (voir aussi la guerre picrocholine autour de "par contre") et que vous êtes plus percutants et convaincants sur d’autres thèmes.
Miss LF a dit…
Merci pour votre remarque.

Ce qui est grave (j'emploie le mot sans légèreté), c'est que "suite à", par suivisme et paresse comme toujours, tue une trentaine de mots justes et de locutions précises (voir notre liste en gras).

Ce carnage n'avait pas lieu en 1780 !

Nous constatons qu'en 2021, "après" et "depuis" sont en train d'agoniser, étouffés par "suite à".

Il devient même difficile de trouver dans Twitter un communiqué officiel qui ne débute pas par "suite à" ou n'en soit pas truffé.

J'espère que vous comprendrez mieux ainsi pourquoi il convient de mener une guerre très radicale contre "suite à", en tant que professionnels de la langue française.

Bien confraternellement, Miss LF



Miss LF a dit…
Un internaute éclairé, Didier Pautard, s'émeut du véritable cancer de la langue qu'est devenue la formule "suite à", et relate en ces termes sa mésaventure de correcteur dont les soins sont défaits par un ignare opiniâtre, ou par plusieurs :



"Voulant bien faire, j'effectue des séries de correction dans Wikitionnaire et Wikipédia. Elles portent par exemple sur des formulations du type : «suite à la situation politique tendue entre les deux pays», que l'on peut exprimer correctement par «à cause des tensions politiques entre les deux pays». 

"Un certain nombre de contributeurs me remercient pour mes modifications. Malheureusement, un administrateur, toujours le même, importuné par ces améliorations, les critique et les révoque systématiquement en arguant de lourdeurs, de risques de changement de sens.

"Effectivement « suite à », en raison de son sens flou et de son inexactitude grammaticale, ne sous-entend rien de très explicite. Si « suite à » continue à phagocyter d'autres locutions, on peut légitimement s'inquiéter pour la diversité lexicale et la précision sémantique de la langue française.  Que faire ?" (fin de citation, 2014)



Notre Mission linguistique francophone constate qu'il est trop tard pour faire machine arrière. Ce déferlement n'a pas été vaincu et les efforts des institutions culturelles n'arrivant plus à peser face à l'inculture de la langue médiatique, politique et des affaires, gorgée de "suite à".
 C'est un vif sujet d'inquiétude. Un pan de la langue qui s'effondre.
Anonyme a dit…
Un gros titre de presse : "un agent poignardé suite à un contrôle d'identité".
Non : "lors d'un contrôle".
Miss LF a dit…
Merci. Nous ajoutons "lors" à la liste des termes phagocytés par le barbarisme "suite à".
Soliloque a dit…
Oui, c'est une "évolution" désolante. Au sens propre : elle désole tout un territoire de notre langue, devenu terre désolée sous les crânes qui y ont laissé entrer "suite à".

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