Bien que les dictionnaires, dont celui de l'Académie française, entérinent les deux termes et leurs reconnaissent exactement le même sens, l'un seulement est correctement construit, et c'est cancérigène, avec un i. Nul n'en disconviendra après la petite leçon d'anatomie que voici.
Dans sa langue d'origine, le latin, la déclinaison du mot cancer lui confère un génitif tantôt en canceris tantôt en cancri (d'où viennent les cancres et les chancres) et un nominatif pluriel en canceres ou cancri, mais jamais en canceros ni cancero ni cancro. Pas de "o" en ses articulations.
Pourtant, une partie du corps médical francophone semble avoir récemment fait le choix de préférer le terme cancérogène avec un o, sans doute sous les influences combinées du nom de spécialité cancérologie, de l'adjectif pathogène... et de l'attrait du changement, voire de la cuistrerie.
Ce choix n'est pas le plus éclairé qui soit, car l'argument de l'harmonisation avec le nom de la spécialité médicale ne tient pas la route un instant. On sait en effet que les noms de spécialité médicale se forment en -ologie et non en -logie. Le "o" de cancérologie appartient donc au suffixe signifiant "spécialité médicale", et non au radical cancer- ; c'est pourquoi il n'y a pas de "cancérilogie" ni de "cardilogie" mais une cancer-ologie et une cardi-ologie.
Or, la présence d'un "o" dans le suffixe des noms de spécialités médicales n'influe pas rétroactivement sur les mots de la spécialité ! Il n'est pas contestable que l'urologue s'intéresse encore et toujours à l'urine et aux voies urinaires, sans qu'il soit besoin de remplacer tout ça par "l'urone" et les voies "uronaires" sous prétexte d'harmoniser la terminologie propre à cette spécialité ! Idem pour le cardiologue qui n'a pas transformé la crise cardiaque en crise "cardioque".
En sa rigoureuse clairvoyance, l'Académie de médecine ne tardera pas à s'en faire la remarque et à renoncer au fourvoiement étymologique qui l'avait mollement enlisée à côté de la plaque.
C'est pourquoi nous invitons les cancérologues (cancer-ologues) à ne pas détruire l'adjectif impeccable cancérigène (canceri-gène) qui n'a fait de mal à personne, et à se le remettre quotidiennement sur le bout de la langue.
Illustration : amalgame de La leçon d'anatomie de Rembrandt et d'une scène de cardiologie de Pulp Fiction de Tarantino.
NDE : la crise est cardiaque et non cardioque parce que le cœur se dit kardia en grec. Si la spécialité médicale du cœur n'est cependant pas la cardialogie mais la cardiologie, c'est bien parce que le suffixe qui construit ces termes est -ologie et non -logie. Or, cardia-ologie n'était pas d'une prononciation facile. C'est pourquoi notre langue a opté pour cardiologie (ce qui s'appelle en linguistique une crase, comme pour tragico-comique devenu tragicomique). Quant à l'urine, on se souviendra avec ravissement que c'est une déformation de orine : qui a la couleur de l'or.
POUR ACCÉDER À LA PAGE D'ACCUEIL DU SITE DE LA MISSION LINGUISTIQUE FRANCOPHONE, CLIQUEZ ICI
Pour prendre directement connaissance des missions de la Mission, cliquez ici.
POUR ACCÉDER À LA PAGE D'ACCUEIL DU SITE DE LA MISSION LINGUISTIQUE FRANCOPHONE, CLIQUEZ ICI
Pour prendre directement connaissance des missions de la Mission, cliquez ici.
Commentaires
La consultation de la fréquence des attestations écrites publiées (via le site Ngram Viewer) confirme que le terme originel (vers 1900) a été concurrencé par 'cancérogène' vers 1950 puis a fait jeu égal avec lui depuis les années 1980. Suivent dans l'ordre 'oncogène' et 'carcinogène'. À noter que 'carcinogen' est le mot anglais et américain de référence, qui ne semble donc pas dans ce cas avoir influencé le français.
Pour ma part je dis toujours « cancérigène ».. Une question de génération également….
Merci pour le compliment. Et merci pour notre langue, que vous traitez ainsi avec justesse !