"Elle s'est levée avec lui" nous dit ce matin une voix de radio. Bon, pourquoi pas.
Pourquoi pas ? Parce qu'aussitôt, le contexte nous fait comprendre que l'oratrice médiatique voulait dire autre chose : elle ne s'est pas levée avec lui, "elle s'élevait avec lui" !
Par un esprit de contradiction phonétique qui est la nouvelle préciosité langagière de la génération montante, "-vait" devient "-vée" ; et inversement, "s'é-" devient "s'est". Nul accent n'est donc en cause, juste une interversion systématique en voie de généralisation aujourd'hui, en France, entre les sons É et Ê.
Des nouvelles des gilets jaunes à Paris ? Tous les journalistes de presse parlée nous les situent boulevard "Beau marché" au lieu de "Beaumarchais". Alors que personne, avant l'an 2000, n'a prononcé Georges Marché au lieu de Georges Marchais ni Beaumarché pour Beaumarchais.
Qu'est-il arrivé pour atteindre ce niveau de déroute des signifiants en matière de sons é/ê ?
Il apparaît qu'une puissante bombe à retardement avait été déposée à nos oreilles en1990 par une publicité pour une marque de lait, vite parodiée par les humoristes, dans laquelle un petit garçon insistant demandait à son père : "c'é quoi cette bouteille de lé" ? Ce parler d'inspiration normande eut tant de charme qu'il s'est d'abord répandu comme une boutade, puis est devenu l'accent néo-français en trente ans.
On se demande tout de même comment la lecture a été enseignée dans l'enfance à ces jeunes voix radiophoniques de 2020 qui se refusent à nous articuler autre chose que "il faudrez" au lieu de "il faudrait", ou "laqué" au lieu de "laquais". Et comment la lecture à haute voix s'enseigne-t-elle aujourd'hui, dans cette incohérence nouvelle entre lettres et sons ? Toute voyelle se vaut et réciproquement, comme à la radio, à la télé et sur YouTube ? Nez et n'est, les enfants vous dites ce qui vous plée ou ce qui vous plaît ?
Ben oui, comme à la radio, M'dame.
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